· TEXTES ·
Par Luz VOLCKMANN
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Ouverture
Depuis que je suis trans
Je gratte ma peau à l’encre noire. J’ai pris le stigmate à la ligne que je trace dans un épiderme qui m’abandonne chaque jour.
Comme elle
Comme les autres
J’aimerais te dire Adieu
Depuis que je suis trans
Je suis une rengaine
Un slogan une maxime
Comment un jour de plus ?
Je suis un bouillon d’insultes
La nuit sale
Une ovation de spectres
Le cri de mes mortes
Ils hurlent vos regards
Les marques jusqu’aux sangs des souvenirs de l’enfance
Où les mots ne sont pas à moi
Où les balafres n’ont pas de noms
Où les prières n’ont pas d’oreilles
Je suis le bouillon d’insultes
Je suis ici
Regarde moi
Je me tiens face à toi
Tu as tué mon amie
Tu as suicidé ma sœur
Tu as humilié mon amour
Je suis l’équation de la colère qui a survécue
J’ai trouvé mes verbes les plus éclatants
Ce n’est pas pour que tu comprennes
Je n’ai que ces mots que ces notes
Il n’y a que ma sœur et moi
Je sais que notre amour survivra
Je ne sais pas si nous vivrons
Un jour de plus
A me tenir sur votre scène
Les planches à spectacle pour pédales
Comme une tragédie où aucun dieu ne descendra pour moi
Je suis ici
Regarde moi
Je me tiens face à toi
Pour retrouver mes rêves
Qui aimera mes colères ?
Le corps qui divague et se tord
Il n’est pas malade ce corps
Regarde moi
Mais il est plié
Je dois le casser
Dans vos lois
Dans vos travails
À la limite de vos mots
A vos yeux une bonne trans
Est une trans qui brille
Ou une trans brisée
Sur scène ou
Sur le trottoir
Dans la gloire ou
Dans le coffre de la voiture
Qui aimera mes colères ?
Les cris et les doutes et les amours
Les tendresses la musique
Je suis un tempo de tous les diables
Trop rapide pour tes oreilles
Écoute moi
C’est encore trop lent pour moi
Je suis pressée de survivre
De passer
Vos test
Vos barèmes
Vos désirs
Je suis pressée mais mauvaise élève
Je suis cancre en classe des meufs
Un jour de plus
Et je t’écrirai des chansons d’amour
De la pop étincelante de naïveté
Du théâtre pour enfants
Des partitions de films d’épouvantes qui ne font même pas peur
Des recueils de blagues de gouines
Des contes initiatiques de voyage touristico-spirituel
Des bandes dessinées épouvantables d’insouciance
En attendant
Je ne chante pas
Qu’est-ce que je raconte ?
Écoute moi
Je raconte
Un jour de plus
Car je suis vivante
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Dysphorie
Toi
Ce que tu vois
Entends ou désires
Je ne sais pas
Peut-être la terreur l’envie la colère la passion
Le mépris le dégoût l’amour
La vengeance le fétiche l’objet
Ou rien
Je ne sais pas
Ce qu’il y a dans vos mots
Ce qu’il y a dans vos yeux
Je ne sais pas
Puisque ni le regard ni la langue
N’ont été fait pour nous
Je ne sais pas
Ni à travers tes bras
Ni sous tes doigts
Ni tout contre tout contre toi
Qui je suis
Je ne sais pas
Mais souris
Il faut être reconnaissante
De ne pas nous ôter la vie
Je sais
Que l’on finit combustible
Essence bon.ne à jeter trois fois mort.es
Dans la voiture bûcher
Je sais
Que l’on finit vase
Endormie vase
Dans le lit confortable des fonds de Seine et du Rhône
Je sais
Que l’on finit seul.e
Dans la cage de la cage de la cage
Assigné.e à l’isolement
Dans le corps qui ne tient plus
S’évapore
Sans le médicament salvateur
Il faut remercier avec politesse
De m’accueillir
De me nourrir
De me parler
De me voir
De me payer
De me baiser
Tiens toi sage
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Belle est un mensonge
Ce matin encore
On pointe sagement à l’usine des poésies macabres pour public décédé
Ouvrez vos partitions page 1 : oraison funèbre
Page 2 : Récitation lugubre
page 3 : des hymnes pour nos corps au rabais
J’ai l’impression d’écrire chaque jour des livres de rimes parfaites
A faire sourire tes seins
Qui trouveraient la formule magique pour nous maintenir vivantes.
Mais ce matin sur ma joue, encore un cadavre
Et aucun chants
Aucun psaume
Pas un cantique ne t’ont gardée près de moi alors
J’ai déchiré les poèmes qui ne t’ont pas connue
Plus un mot
Si je n’en trouve pas un pour t’attendrir
Nous connaissons toutes cette prose :
Elle s’appelait comment ?
Elle avait quel âge ?
Nous répétons toutes ces deux pauvres vers :
Qui fera son été ?
Qui passera l’hiver ?
Je ne sais pas comment vous dire
En plein soleil
J’ai peur de sentir la charogne
Belle
Soit belle
Il faut qu’on soit belle
Il faut que vous soyez bien belles
Moi ? est-ce que j’ai envie d’être belle moi ?
C’est pas vrai qu’on est belle quand on est trans
On est bonne à planter
Sublime à crever
Dans les regards sales des vieux darons je me vois déjà attachée dans une cave
Belle est un mensonge que ne supportent pas les mains de nos assassins
Et les belles finissent très bien au bout d’une corde
Portant autour du cou une plaque avec ces mots
HONTE LE CORPS QUI GIT SOUS LES INSULTES
Je pense toujours à toi au milieu de la nuit
Endiablée jusqu’aux oreilles sur des kicks à 150 BPM
Je m’arrache la gorge à danser
Parce qu’on n’en finit plus de crever
Je m’arrache l’espoir en tapant du pied
Parce que celles qui partent nous laissent toujours un peu plus seules
Laissez nous autre chose que le morbide et le silence
Laissez nous autre chose que le sublime et la désespérance
Je veux qu’on nous laisse autre chose que
La Gerbe ou la Fleur